Le tableau était immense (du point de vue de l'enfant). Il représentait Jésus avec le cœur en flammes, ouvert et entouré d'une couronne d'épines. Dans ses mains, des taches de sang indiquaient que c'était bien là, dans la paume de la main, qu'ils avaient enfoncé les clous au moment de la crucifixion. Les cheveux longs et blonds lui descendaient jusqu'aux épaules, avec une barbe et une moustache, vêtu d'un manteau clair sur une robe rouge, Jésus nous regardait. Son expression était un mélange de douleur, comme celle de quelqu'un qui avait beaucoup souffert. C'était un regard qui demandait pitié tout en nous interrogeant. C'était comme s'il disait : "J'ai tant souffert pour toi, et c'est ainsi que tu me récompenses ?". Il était impossible d'échapper à son regard. De n'importe quel point de la chambre, il suffisait de regarder le tableau pour voir Jésus nous fixer. Là-haut, au centre de la pièce. Un regard inquisiteur.
La génération précédente conduisait ses enfants dans le périmètre des interdictions. Manger de la viande le Vendredi saint était un péché presque impardonnable. Je me souviens d'un jour férié où je suis allé au cinéma avec un ami et, au retour, nous nous sommes arrêtés dans une sandwicherie. Les sandwicheries étaient une nouveauté : un hamburger ou un cheeseburger, servis avec du ketchup, nous faisaient saliver. Nous avons dépensé notre argent pour un sandwich à la viande et, en rentrant à la maison, je suis tombé sur ma mère à la porte, en train de discuter avec les voisines. Je lui ai raconté ce que j'avais mangé et ma mère a failli s'évanouir. Je me souviens d'elle mettant la main sur son cœur, sentant l'organe battre précipitamment : j'avais commis un péché très grave. C'était un vendredi et j'avais mangé de la viande. J'ai vu les portes de l'enfer s'ouvrir devant moi.
Les interdits étaient si nombreux et si variés qu'il a fallu toute une génération pour faire imploser tout cela. La masturbation, le sexe avant le mariage, l'homosexualité, porter des vêtements décolletés, manquer la messe... Il y avait du péché partout. Pécher contre la chasteté était peut-être le plus redouté. On se masturbait sous le regard de Jésus. On jouissait, sachant qu'on empruntait le chemin de la misère. Notre âme allait vraiment en enfer. C'est grâce à la génération de 1968 que cet édifice carcéral, construit par l'Église, s'est effondré.
En lisant "Les Années", de la lauréate du prix Nobel, la Française Annie Ernaux, à un moment donné de l'histoire, elle s'arrête pour réfléchir à cet effondrement du pouvoir de l'Église. Elle écrit :
"La religion catholique a discrètement disparu du quotidien. Les familles ne transmettent plus ni la connaissance ni la pratique. Malgré quelques rites, elle n'est plus un signe de respectabilité. Comme si elle avait été trop servie, utilisée par des millions de prêtres, de messes et de processions, pendant deux millénaires (...) L'Église ne terrorise plus l'imaginaire des adolescents pubères, elle ne réglemente plus les échanges sexuels et le ventre des femmes a échappé à son contrôle. En perdant le champ de son action principale - le sexe - elle (l'Église) a tout perdu. En dehors d'un cours de philosophie, l'idée de Dieu n'est plus vraiment valable ni quelque chose à débattre."
Sur la révolution de 1968, elle écrit :
"Penser, parler, écrire, travailler, exister autrement : nous estimions n'avoir rien à perdre en essayant tout. 1968 a été la première année du monde."
"Les Années" utilise le procédé littéraire de l'impersonnalité. L'auteure n'utilise pas le "je", mais le "elle". "Elle" est la protagoniste. C'est "Elle" qui naît au milieu de la Seconde Guerre mondiale, qui grandit dans les années de pénurie d'après-guerre, qui se mariera, aura deux enfants, fera une carrière universitaire, divorcera et vieillira, dans une France riche, pays du premier monde, mais rempli de cicatrices et de millions d'immigrants qui ne cessent d'arriver, sans oublier le fantôme toujours présent de la droite qui trouble le sommeil des électeurs de gauche.
Comme le commente Annie Ernaux : "Les Années" a un personnage principal qui vit l'histoire, mais l'Histoire elle-même passe par elle. L'auteure sélectionne de vieilles photos et commente les vêtements qu'elle portait, qui l'accompagnait, l'endroit où elle se trouvait, et plonge ensuite dans les souvenirs, les films, les événements.
Beaucoup de ces films, comme "Les Choses de la vie", de 1970, par exemple, ont marqué leur époque en France et ici au Brésil. Je me souviens être sorti du cinéma Belas Artes dans un état d'émerveillement. Réalisé par Claude Sautet, avec Michel Piccoli et Romy Schneider dans les rôles principaux, le film raconte l'histoire d'un architecte divorcé qui a un accident de voiture et voit sa vie défiler, comme dans un film, alors qu'il est entre la vie et la mort. C'est une œuvre émouvante et belle, comme une peinture de Renoir.
Alors que la génération d'Ernaux ne pouvait pas attendre de quitter la maison, ses enfants, eux, ne sont pas pressés. Ils se sentent bien en compagnie de leur mère. Ils ouvrent le réfrigérateur. Mangent ce qu'ils veulent et quand ils veulent. Ils prennent leurs repas en regardant la télévision avec leur assiette sur les genoux.
"Les Années" contient des passages historiques mémorables, comme l'investiture de François Mitterrand en 1981, qui a marqué une victoire de la gauche française, quelque chose qui semblait impossible à l'époque. La gauche française arrivait enfin au pouvoir et, aux côtés de Mitterrand, des ministres "communistes" : "Nous regardions les quatre ministres communistes avec curiosité, comme s'ils étaient une espèce exotique, étonnés qu'ils n'aient pas un air soviétique". Mitterrand représentait la concrétisation de toutes les revendications de la gauche française de l'époque : "les radios libres, le remboursement de l'argent dépensé pour l'avortement, la retraite à 60 ans, 39 heures de travail par semaine, l'abolition de la peine de mort, etc."
Je me suis surpris les yeux humides en lisant des passages des "Années". J'étais en France en 1981, lors de l'investiture de Mitterrand, et je me souviens avoir transcrit le discours d'investiture du nouveau président dans une lettre que j'ai envoyée à mes proches. C'était un discours qui ressemblait au Sermon sur la Montagne revisité :
"La France envoie son salut aux femmes, aux hommes, et aussi aux garçons. Oui, aux garçons héros qui se sont illustrés ici, dans ce village, défendant autrefois l'honneur de leur patrie et à ceux qui tombent maintenant à travers le monde pour un noble idéal. Salutations aux humiliés, aux immigrants, aux exilés sur leur propre terre qui veulent vivre et vivre libres. Salutations à tous ceux qui sont bâillonnés, persécutés et torturés, qui veulent vivre et vivre libres. Salutations aux kidnappés, aux disparus qui ne voulaient que vivre et vivre libres. Salutations aux prêtres brutalisés, aux paysans sans terre, aux syndicalistes emprisonnés, aux chômeurs qui vendent leur sang pour survivre, aux Indiens persécutés sur leurs terres, aux travailleurs sans droits, aux résistants sans armes. À tous, la France dit : courage, la liberté vaincra."
Ma génération a fait tout son possible pour se distancier de la précédente. Je dormais dans un sac de couchage sur un tatami. "Lit de tatami pour la vie", comme le disait la chanson de Gil. Je suis devenu végétarien. Je voyageais en auto-stop à travers le pays. J'ai laissé pousser mes cheveux et marchais sur les routes avec un sac à dos. Les petites amies faisaient l'amour avant le mariage, en utilisant un contraceptif magique appelé "la pilule". À 20 ans, je suis allé vivre avec des amis. J'ai acheté une moto et j'ai commencé à participer à des meetings contre la dictature militaire. Tous les meetings. Même ceux où il y avait peu de monde. La musique que nous écoutions n'avait aucun rapport avec celle de nos parents. Même la chanson qui disait que "nous sommes toujours les mêmes et vivons avec nos parents" était diamétralement opposée à Noel Rosa, Orlando Silva, Nelson Gonçalves, Francisco Alves, les idoles de la génération précédente. Nous étions en guerre contre les vieux et cherchions à tout contester. Laisser la terre brûlée. Peut-être que la génération suivante ne ressentira pas la même empathie que moi en lisant "Les Années". Nous avons vécu beaucoup de changements en très peu de temps. Et cela a été dévastateur.
J'étais seul dans un café, en train de lire le livre d'Annie Ernaux, et j'ai essayé de dissimuler mon émotion en essuyant mes lunettes embuées. Puis, je me suis souvenu des quatre années perdues, de cette terreur sociale, de cette chose maléfique qui a occupé la présidence et je me suis demandé où nous en serions dans quatre ans. Retournerons-nous sous le joug de l'horreur ou serons-nous meilleurs, plus libres, plus riches et plus évolués ?
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